LE MANAGEMENT



À quoi sert un manager ?

Un producteur américain écrivait récemment de manière ironique qu'un manager ne sert à rien. Sert-il à négocier le contrat avec une maison de disques ? C'est le rôle de l'avocat. À contrôler le paiement des redevances ? C'est la fonction du comptable. À aider l'artiste à rassembler les chansons à enregistrer ? C'est la mission du producteur. À contrôler le respect des conditions de concert ? C'est le métier du tour-manager…

Pour qu'un artiste dispose d'un tel entourage, il lui a fallu un excellent manager pendant de longues années! Un exemple ? Camille Barbone, première manager de Madonna, a d'abord :

1. Trouvé un logement décent à Madonna (65 $ par mois);
2. Avancé un peu d'argent pour qu'elle puisse survivre une semaine;
3. Trouvé pour elle un emploi de femme de ménage (ça n'a pas duré longtemps);
4. Payé le dentiste pour l'extraction de 4 dents de sagesse;
5. Fait prescrire la pilule à Madonna ;
6. ...et tout ça sans que ça rapporte un franc.

Le premier contrat conclu entre Céline Dion et son manager, René Angelil stipulait ni plus ni moins que :

" Le Gérant s'engage à conseiller l'Artiste en ce qui concerne la présentation personnelle de l'Artiste en public, son comportement, ses vêtements, son instruction dans le domaine artistique ainsi que ses activités mondaines, et l'Artiste s'engage à donner suite dans les meilleures conditions possibles aux recommandations du Gérant à cet effet. "

Qu'est-ce qu'un manager ? Le responsable de l'artiste et de sa carrière. Son premier public, son conseiller, son papa et sa maman, son négociateur, son psychiatre, sa tête de turc et bien d'autres choses. En d'autres termes, c'est le chef d'entreprise, l'homme à tout faire, le stratège et le soldat, le décorateur, la femme de ménage et le visionnaire : le manager est la personne clé au centre de toute la carrière de l'artiste.

CLAUSES ESSENTIELLES DU CONTRAT DE MANAGEMENT

Les signataires du contrat

Les relations personnelles étant à la base du contrat de management, il est très important de conclure le contrat avec une personne physique plutôt qu'une société et de prévoir que celle-ci ne pourra pas céder le contrat. Si le contrat est conclu avec une société, il faut prendre les mêmes précautions.

L'artiste doit s'assurer qu'il restera bien en contact avec la personne physique qu'il a choisie, même si la société se développe et engage de nouvelles personnes. Le contrat doit donc stipuler que dans le cas où cette personne n'assumerait plus le contact quotidien avec l'artiste et/ou ne posséderait plus d'intérêt majeur dans la société, il serait résilié immédiatement. Certains contrats exigent, de manière symétrique, que l'artiste ne puisse céder son contrat, cas de figure assez théorique, sauf dans le cas où l'artiste serait un groupe.

L'objet du contrat

Il est indispensable de définir la mission du manager au sein du contrat. D'une manière générale, il convient d'abord de préciser si le management s'étend à toutes les activités de l'artiste ( musique, cinéma, télévision, publicité, …) ou à certaines d'entre elles seulement (enregistrement musical, spectacles, …). Cette précision entraîne évidemment de très importantes conséquences sur l'assiette de la rémunération du manager.

Au sein des activités confiées au manager, il est souhaitable de préciser point par point ce qui est attendu. En matière de musique, par exemple, la mission du manager doit en tout cas comporter :

a) les relations avec la firme de disques et le contrôle des paiements;
b) le suivi de l'éditeur et le contrôle des paiements ;
c) le choix et le contrôle des agents ;
d) l'établissement des plannings et de la gestion de l'agenda ;
e) la recherche de nouvelles exploitations.

Il est souvent utile également de définir les objectifs principaux auxquels le manager doit aboutir dans le contrat lui-même. Si vous cédez une partie de vos revenus au manager, c'est pour qu'il vous en rapporte davantage. C'est pourquoi, dans certains contrats, on voit les managers s'engager à procurer à l'artiste des revenus établis d'avance année par année.

L'exclusivité

Le contrat de management est toujours exclusif au moins dans un sens : si le manager peut gérer plusieurs artistes, l'artiste ne peut s'engager avec plusieurs managers. Cette exclusivité à sens unique n'a toutefois rien d'obligatoire et certains artistes exigent et obtiennent que leur manager ne puisse gérer directement la carrière de plus de deux artistes. Ils sont ainsi assurés, au moins en théorie, d'une certaine disponibilité.

La durée du contrat

En général, le terme se situe entre trois et cinq ans. Bien entendu, l'artiste souhaite que son contrat soit le plus court possible, le manager souhaite qu'il soit le plus long.

Une solution intermédiaire consiste à préciser dans le contrat que celui-ci ne se prolongera que pour autant que l'artiste ait perçu, dans la période précédente, une somme d'argent fixée. Dans la négative, le contrat se termine, l'artiste gardant bien entendu la possibilité de le prolonger si tel est son souhait.

D'une manière générale, peu de contrats de management ont la durée prévue. Soit ils se prolongent bien après le terme (et alors, très souvent, il n'est même plus question de contrat), soit ils s'interrompent avant pour cause de mésentente. Néanmoins, pour que cette hypothèse soit juridiquement possible, il est nécessaire, comme dans tous les autres types de contrats, de prévoir une clause dite résolutoire expresse précisant qu'en cas de manquement du manager à ses obligations, le contrat sera résolu. Une telle clause figure dans l'exemple de contrat de management.

Le territoire du contrat

Logiquement, le territoire confié au manager est le monde entier. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que, dans le cas d'une exploitation réellement internationale, le manager confiera souvent à une autre personne le " sous-management " pour un territoire défini. Il est donc toujours utile de prévoir que l'artiste devra marquer son accord sur le choix de ce nouveau représentant.

La rémunération du manager

Le taux de commission

En pratique, la commission va de 15 à 25% sur les revenus de l'artiste. Mais ce pourcentage n'a rien de sacré et il est préférable de s'en tenir à une vision pragmatique de la réalité.

D'abord, tout dépend de l'assiette de revenus servant de base de calcul à la commission : limitation à certaines activités, revenus bruts ou nets, englobant ou non les droits d'auteurs, les avances, etc.

Il faut considérer ensuite le montant réel des revenus auquel cette commission s'applique : si 25% de 100 représente le même rapport mathématique que 25% d'un million, ces pourcentages ont des conséquences très différentes sur la vie quotidienne...

C'est pourquoi, sauf pour les artistes bénéficiant d'importants revenus, ce pourcentage, habituellement présenté comme le tabou du show-business est en réalité tout à fait insuffisant pour rémunérer le travail d'un bon manager. Vouloir imposer à des managers des pourcentages de 15 à 20 % sur les revenus des artistes débutants est une parfaite idiotie; elle conduira tôt ou tard à ce que le manager diminue ses activités au point qu'il n'assumera finalement qu'un secrétariat coûteux très démotivant. Il s'ensuivra inévitablement une rupture du contrat par l'artiste, jugeant que le manager ne travaille pas assez, et les relations tourneront vite à l'hostilité.

Pour définir quelle doit être la commission du manager, il vaut mieux, plus que tout conseil général, examiner de manière réaliste les revenus potentiels de l'artiste. Un bon manager doit pouvoir estimer assez rapidement les revenus supplémentaires qu'il peut apporter à l'artiste. Sur cette base, il est fortement conseillé que l'artiste et le manager établisse un taux de commun accord pour une courte période, après quoi le contrat sera renégocié avec un pourcentage minimum établi dès à présent. Tous les éléments doivent entrer en jeu : le manager s'occupe-t-il d'un autre artiste ? Consacrera-t-il la totalité de son temps à la carrière de l'artiste ? Prend-il en charge les frais ? Perçoit-il une commission sur tous les revenus ? Perçoit-il sur les revenus bruts ou revenus nets ? ...

Certains grands managers prennent jusqu'à 50 % des revenus de l'artiste mais il s'agit de la plupart du temps de managers qui n'ont qu'un seul artiste. Ils s'engagent alors de façon claire et définitive à ne travailler que pour cet artiste et réussissent la plupart du temps à assurer un succès important. Dans certains cas, le pourcentage varie en fonction des revenus de l'artiste. Soit le pourcentage augmente avec celui-ci (plus l'artiste gagne plus le manager a bien travaillé) soit c'est l'inverse : le pourcentage diminue à mesure que le revenu augmente.

La base de la commission

La base de la commission doit être très clairement définie. Il s'agit exclusivement des revenus professionnels de l'artiste (et non pas des intérêts d'un compte d'épargne). Il doit s'agir en outre des revenus professionnels provenant de l'activité dont la gestion a été confiée au manager. Ainsi, les revenus produits par des ventes de tableaux peints par un artiste interprète n'entrent pas en compte, même s'ils peuvent être considérés comme professionnels, dans l'assiette de calcul. De même, il est judicieux de prévoir que les sommes générées par des investissements réalisés par l'artiste sur des sommes sur lesquelles une commission a déjà été perçue par le manager sont exceptées de l'assiette de la commission.

D'une manière générale, les revenus professionnels de l'activité musicale comprennent :

- les redevances discographiques et rémunérations pour utilisations secondaires   d'enregistrement;
- les avances sur redevances;
- les cachets de spectacle, y compris les salaires ;
- les droits d'auteur et avances sur droits d'auteur ;
- les droits voisins ;
- les revenus de merchandising;
- les revenus issus de la participation de l'artiste à des publicités.

La plupart des artistes ne voient pas de problème à céder une commission sur leurs revenus, à l'exception des droits d'auteur. Ils argumentent en disant d'une part, que les droits sont déjà cédés en partie à l'éditeur; d'autre part, que les droits d'auteur constituent un revenu tout à fait personnel rémunérant une activité créatrice et n'ayant que très peu de rapport avec le travail du manager.

Il est fréquent de distinguer différents taux de commission en fonction du type de revenus. Cela s'explique le plus souvent par le fait que le travail du manager est différent lorsqu'il s'agit de créer le merchandising ou de suivre la promotion discographique.

Lorsqu'il est question de revenu brut, base de la commission, il est nécessaire de préciser ce que recouvre cette notion. En général, un revenu brut dans ce type de contrat est le revenu perçu par l'artiste, à l'exception des taxes et impôts divers. Ainsi, dans l'hypothèse où l'artiste doit payer certaines personnes avec le cachet qu'il a reçu (par exemple ses musiciens), la commission du manager est prise avant tout payement. Si l'artiste perçoit 100 000 F mais doit payer certaines personnes pour un montant total de 40 000 F, la commission du manager ne s'appliquera pas sur les 60 000 F restant mais bien sur les 100 000 F. De la sorte, les dépenses de l'artiste n'ont aucune incidence sur les revenus du manager. Quand un artiste est constitué en société, la base de la commission est ce qui entre dans les comptes de la société. Le plus souvent, en effet, ce que perçoit la société est supérieur à ce que touche l'artiste. Mais c'est bien pour la prestation de l'artiste que la société a encaissé telle somme d'argent.

Après avoir défini ce qu'il faut entendre par revenu brut, il convient de préciser encore la notion de revenus. Si, en général, les royalties, cachets et droits d'auteur, ne posent guère de problème, il en va différemment des avances sur royalties, des tour supports, des avances éditoriales, des prix et subsides que pourrait recevoir l'artiste, etc.

En ce qui concerne les avances, la question ne semble pas problématique puisqu'il s'agit simplement d'avances sur revenus, c'est-à-dire de revenus. Les tour supports, au contraire, ne constituent pas de revenus et ne devraient dès lors pas entrer dans le revenu du manager.

Au fur et à mesure de l'exécution du contrat, beaucoup de revenus peuvent poser problème, principalement ceux qui n'ont pas été généré par une activité immédiate du manager. L'artiste ne voit pas alors pourquoi il devrait payer le manager qui n'a rien fait pour que tel ou tel contrat survienne ou s'est contenté d'accepter sans les négocier des propositions émanant de l'extérieur.

Les sommes générées par des investissements réalisés par l'artiste sont des sommes sur lesquelles une commission a déjà été perçue par le manager.

Les frais de management

Qui paie les voyages, les conversations téléphoniques, les hôtels, les restaurants, les bouquets de fleurs et les petits cadeaux ?

Soit l'artiste : le manager avance le montant des frais mais les récupère sur les revenus de l'artiste. C'est la règle générale. Mais elle doit être rigoureusement passée au crible dans ses applications et un contrôle doit être exercé en permanence par quelqu'un d'autre que le manager bien entendu. Soit le manager : celui-ci paie la totalité des frais de fonctionnement sans facturer ni récupérer sur les revenus de l'artiste. Soit le manager et l'artiste : le manager paie certains frais et récupère les autres sur les revenus de l'artiste selon des modalités déterminées. Les parties conviennent ainsi qu'aucun frais ne sera récupéré par le manager sur les revenus de l'artiste si celui-ci n'a pas préalablement marqué accord par écrit sur les dépenses ainsi récupérées.

La fin du contrat

Certains contrats prévoient une expiration à une date fixe (par exemple le 1.01.2004) et qu'à cette date, plus aucune rémunération ne sera due au manager. Ce type de clause est assez ridicule dans un contrat de management dans la mesure où, étant donné notamment les payements semestriels de royalties, le manager devrait ainsi travailler au moins un semestre (le dernier) pour rien puisque les royalties générées pendant son activité ne seront payées qu'après celle-ci. Si le contrat ne prévoit pas de reconduction, cela conduit naturellement à pousser le manager à ne rien faire et dès lors à rompre en fait plutôt le contrat. C'est pourquoi il est plus équitable de prévoir qu'après l'expiration du contrat, le manager continuera de percevoir, pendant un certain temps, son pourcentage ou une partie de celui-ci. Il peut s'agir, dans un premier temps, du pourcentage au taux plein puis, un ou deux mois plus tard, de la moitié de celui-ci et enfin, après quelques mois, en fonction des activités déployées par le manager dans les derniers semestres, d'une commission égale à 0 %. Bien entendu, il peut arriver que l'artiste ait un double pourcentage à payer (1 pour l'ancien manager, un 2e pour le nouveau manager) et il faudra alors veiller à coordonner ce double payement afin qu'il n'épuise pas les rentrées financières de l'artiste. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que certains revenus, et notamment les droits d'auteur générés à l'étranger, mettent parfois plus de deux années à parvenir sur le compte de l'artiste. Il ne peut être raisonnablement question de voir l'ancien manager percevoir, deux ans plus tard, une commission sur ces revenus. Cette perte est compensée en fait, dans le cours du contrat, par des commissions perçues par le manager sur des revenus qu'il n'a pas aidés, ni directement, ni indirectement, à générer.

Les revenus de l'artiste

Une fois déterminé le montant de la commission du manager et les revenus auxquels celle-ci s'applique, il reste à prendre la décision la plus importante : qui touchera l'argent ? Pour le manager, il est intéressant de percevoir directement la totalité des sommes puis de les reverser après déduction de la commission, à l'artiste. D'une part, il s'assure que sa commission sera payée effectivement et d'autre part, cela lui permet d'assurer le suivi comptable des affaires de l'artiste. Au départ, les artistes n'y voient guère d'inconvénient dans la mesure où la plupart d'entre eux préfèrent laisser au loin les questions relatives à l'argent. Du reste, pensent-ils, si le manager tient la comptabilité, les déclarations fiscales seront plus faciles à faire, aucun justificatif ne sera égaré, bref, la situation sera claire. C'est là une erreur extrêmement grave. La plupart des grands conflits entre artistes et managers proviennent de ce que l'argent revenant à l'artiste a transité, pendant un certain moment, sur le compte du manager. Ce n'est pas que les managers soient, par nature, voleurs. Mais il peut arriver (et en fait il arrive fréquemment) que le manager soit tenté de retenir des commissions sur des revenus qui lui sont étrangers; en cas de difficultés financières passagères, d'emprunter une somme sur le compte de l'artiste et d'omettre de la lui rembourser; de placer, dans une bonne intention, une partie des revenus de l'artiste sur un compte à fort taux d'intérêts; ou simplement, de mal calculer la commission, de payer ses propres frais avec une partie des revenus : pour peu que le manager soit, pendant un certain temps, surchargé de travail, une simple négligence peut ainsi tourner simplement à la catastrophe.

Pour éviter tous ces problèmes, il est beaucoup plus simple de prévoir que l'artiste percevra directement ses revenus et que le manager lui facturera sa commission. Cette clause est d'une importance capitale. Il faut à tout prix éviter le transit d'argent par le compte du manager.