Le contrat d'enregistrement exclusif est celui par lequel un interprète s'engage à céder exclusivement à un producteur le droit d'enregistrer ses interprétations, en contrepartie d'une certaine rémunération. Pendant toute la période du contrat, l'artiste s'interdit ainsi d'enregistrer ses interprétations par une autre personne que le producteur avec lequel il a conclu le contrat, que ce soit sous son nom ou sous un pseudonyme. Les législations imposent de plus en plus un contrat écrit entre l'artiste et le producteur, pour protéger l'artiste.
LES CLAUSES ESSENTIELLES
A. LES OBLIGATIONS DE L'ARTISTE
1. L'exclusivité
L'objet de l'exclusivitéconsentie par l'artiste au producteur peut porter sur l'ensemble de ses interprétations ou certaines d'entre elles seulement. L'exclusivité peut porter par exemple sur :
a.les enregistrements de toute prestation artistique : il s'agit de la cession la plus large possible, de la musique au cinéma et, comme certains contrats l'ajoutent, de " toute activité annexe qui pourrait avoir une conséquence sur la carrière de l'artiste ".
b. les enregistrements uniquement sonores : les enregistrements audiovisuels restent autorisés.
c. les enregistrements purement sonores réalisés dans un but phonographique : tous les enregistrements qui n'auraient pas pour but d'être fixés sur phonogramme, c'est-à-dire de devenir des disques, restent autorisés. L'artiste conserve ainsi le droit d'enregistrer des publicités ou des musiques de film pour autant que celles-ci ne soient pas matérialisées sur un support phonographique.
d. les enregistrements purement sonores réalisés dans un but phonographique où l'apport personnel de l'artiste est déterminant : L'artiste peut alors non seulement participer à des films, enregistrer des publicités mais il peut également collaborer, par exemple, à des sessions de chœur pour l'album d'un autre artiste.
Le
territoire de l'exclusivité
L'exclusivité d'un contrat d'enregistrement ne
connaît pas de frontières géographiques
et s'applique quelle que soit la langue utilisée.
La
durée de l'exclusivité
La durée d'exclusivité ne doit pas être
confondue avec la durée d'exploitation des enregistrements.
La première se réfère à la
période pendant laquelle l'artiste ne peut enregistrer que
pour le producteur tandis que la durée d'exploitation
concerne le temps pendant lequel le producteur peut commercialiser les
enregistrements ainsi réalisés qui est
évidemment beaucoup plus longue. Usuellement, les contrats
sont conclus pour des durées minimum variant de 3
à 5 ans et sont ensuite prolongés selon les
mécanismes de reconduction ou d'option.
Sous l'influence anglo-saxonne, de nombreux contrats tendent à fixer comme durée non pas l'écoulement d'un certain nombre d'années mais l'enregistrement et la commercialisation d'un certain nombre de titres. Au lieu de conclure pour trois ans, l'artiste s'engage ainsi pour " le temps nécessaire à l'enregistrement et à l'exploitation d'un album de 12 titres ", étant entendu que cette durée ne sera pas inférieure à un certain nombre de mois.
Les modalités de reconduction et de renouvellement des contrats sont les suivantes :
Si l'option n'est pas levée ou qu'il n'y a pas de reconduction, l'artiste retrouve sa liberté d'enregistrer pour d'autres mais ne devient pas, pour autant, libre de toute exclusivité passée. En particulier, les producteurs imposent souvent une " clause d'exclusivité de titre " qui interdit à l'artiste de réenregistrer pour un autre les titres interprétés pour leur compte. Supposons qu'un artiste, signé avec Virgin, passe chez Polygram à l'expiration de son contrat. Si cet artiste a enregistré de grands succès chez Virgin, ceux-ci restent la propriété de Virgin qui continuera de les exploiter et paiera les royalties dues pendant toute l'exploitation. Mais Polygram peut vouloir réenregistrer, avec l'artiste, des covers de ces succès et s'attirer ainsi une partie de la clientèle de Virgin. Pour éviter ce type de manœuvres, Virgin veillera, lors de la conclusion du contrat, à interdire à l'artiste de réenregistrer les titres produits pour son compte et pendant une certaine durée.
3. L'obligation d'enregistrer
L'artiste doit livrer un certain nombre d'enregistrements pendant la période contractuelle. Il s'agit habituellement d'un nombre minimum (le producteur pourrait donc en exiger plus) sauf pour les artistes confirmés dont les avocats et managers limitent autant qu'ils peuvent les cessions de droits. Le choix des titres à enregistrer appartient en général au producteur qui justifie ce pouvoir par les risques qu'il prend.
4. Les cessions annexes
Le
merchandising
Il est devenu standard d'exiger d'un artiste qu'il cède
également à son producteur le droit d'utiliser et
de commercialiser son image ainsi que, d'une manière
générale, tout dérivé de sa
personnalité. La cession de droits
dérivés porte comme nom le merchandising et va de
la vente de t-shirts à la digitalisation de l'image pour
jeux vidéos. Une rémunération
équitable pour l'artiste va de 10 à 30% du prix
de vente de chaque support vendu.
La
cession éditoriale
Lorsqu'un interprète est également auteur
compositeur, son producteur lui réclamera souvent
l'édition des œuvres qu'il viendrait à
créer en cours de contrat. A vrai dire, comme tout
interprète pourrait devenir auteur compositeur, cette clause
figure dans toutes les propositions de contrat mais ne se justifie pas
systématiquement. L'édition musicale fait l'objet
d'une autre section .
B. LES OBLIGATIONS DU PRODUCTEUR
ENREGISTRER , COMMERCIALISER, PROMOTIONNER
Enregistrer
L'obligation principale mise à charge du producteur consiste
à financer les enregistrements de l'artiste. Encore faut-il
qu'il s'engage à procéder à des
enregistrements.
La présence d'une clause engageant le producteur
à produire est donc essentielle. Elle ne suffit pas. Il faut
encore déterminer quand les enregistrements doivent avoir
lieu. Un contrat de trois ans prévoyant l'enregistrement
d'un album n'oblige pas le producteur à procéder
aux enregistrements dans la première ni la
deuxième année de sorte qu'en théorie
un tel producteur pourrait remplir ses obligations dans les derniers
mois de la dernière année. Il convient donc de
préciser :
Commercialiser
Un producteur n'est pas tenu à garantir la
commercialisation, mais il doit tout mettre en œuvre pour
l'assurer. Cette obligation de moyen peut paraître
théorique mais elle ne l'est guère. "Tout mettre
en œuvre " signifie pratiquement qu'un producteur est tenu,
en cas d'échec, de prouver qu'il a
déployé tous les efforts suffisants pour remplir
son obligation. Bien entendu, la rigueur de cette obligation
s'appréciera différemment selon que le producteur
est un indépendant sans contact direct avec un distributeur
ou une firme de disques elle-même distributrice.
Promouvoir
Les vidéoclips
Ordinairement, les vidéoclips sont financés par le producteur et la maison de disques, cette dernière récupérant habituellement une partie de son apport sur les redevances dues au producteur . Compte tenu de l'importance des investissements financiers sur un vidéoclip, l'artiste doit veiller à limiter la récupération sur ses propres redevances, soit en réduisant le montant récupérable (50% des sommes investies), soit en restreignant la récupération aux redevances issues de l'enregistrement ainsi promu.
PAYER L'AVANCE ET LES ROYALTIES CONVENUES
L'avance
Le paiement de l'avance
L'avance payée par le producteur à l'artiste peut être considérée comme le prix de l'exclusivité. Cette avance est en général récupérable mais non remboursable, c'est-à-dire que le producteur ne versera aucune royalty à l'artiste avant d'avoir récupéré les sommes avancées mais que l'artiste ne sera jamais obligé de rembourser le producteur si la vente de ses enregistrements n'y suffisait pas.
Le montant de l'avance dépend bien entendu de la notoriété de l'artiste.
La récupération de l'avance
Supposons qu'un artiste perçoive une avance de 100 000 F et touche 2 F par disque vendu. S'il vend 40 000 disques, le décompte s'établira comme suit :
Royalties dues à l'artiste : 40
000 x 2 = +80 000 F
Avance à récupérer- 100 000 F
Versement en faveur de l'artiste 0
Reste à récupérer 20 000 F
L'avance est en principe accordée enregistrement par enregistrement et son montant est fixé contractuellement. Ses modalités de paiement varient selon les contrats. En général, il faut prévoir le paiement soit le jour de la signature du contrat, soit le premier jour d'enregistrement. Certains contrats prévoient le paiement d'une partie au début de l'enregistrement et le solde lors de la livraison des bandes. On évitera soigneusement, en tout cas, le paiement d'une avance au moment de la commercialisation ou à tout autre moment qui échappe au contrôle de l'artiste.
Un producteur ne versera de royalties à son artiste que lorsqu'il se sera remboursé lui-même des sommes ainsi avancées. Ce terme de remboursement, souvent appelé " récupération " signifie en réalité que le producteur gardera pour lui les sommes qui sont dues à l'artiste en raison de l'exploitation des enregistrements, jusqu'au moment où il aura récupéré l'avance payée à l'artiste.
L'industrie a importé de l'anglais une expression bien étrange appelée la cross-latérisation signifiant qu'une avance versée pour l'enregistrement ou la commercialisation d'un support est récupérable sur celui-ci et tous les autres (au cas où la vente des précédents supports n'auraient pas été suffisants). Cette petite expression est à la base de la faillite de beaucoup de stars américaines car elle aboutit fréquemment à ce qu'un artiste à gros succès se trouve néanmoins en position de dette par rapport à sa maison de disques.
Supposons un interprète signant avec un producteur un contrat pour trois albums et trois clips avec cross-latéralisation. Si l'avance concédée par album équivaut à 500 000 F et que le budget d'enregistrement, entièrement récupérable, se monte à 1 000 000 F auxquels il faut ajouter le budget d'enregistrement de clip (600 000 F), dès la sortie du premier album et du premier clip, l'artiste doit à son producteur la somme de :
1 000 000 (budget d'enregistrement)
+ 500 000 (avance album)
+ 600 000 (vidéoclip)
2 100 000 F
Si le premier album ni le deuxième ne connaissent de succès, l'artiste devra à son producteur, lors de la commercialisation du troisième, un montant de 6 300 000 F Il faut vendre beaucoup de disques pour récupérer une telle somme et c'est la raison pour laquelle certains artistes se trouvent en état de faillite en plein succès.
Idéalement, c'est-à-dire quand la notoriété de l'artiste le permet, il faudrait pouvoir limiter la récupération de l'avance concédée pour un support, aux sommes générées par ce support.
La royalty, appelée parfois redevance, est le pourcentage perçu par l'artiste sur le prix de vente en gros du disque. Ce prix est payé par le producteur à l'artiste et consiste en une part de ce qu'il reçoit de la maison de disques lorsqu'il n'est pas lui-même distributeur.
Le système est simple : lorsqu'une maison de disque vend un exemplaire, elle verse une partie de son bénéfice au producteur qui, à son tour, rémunère l'artiste. L'ensemble de ces rémunérations est fixé contractuellement entre, d'une part, le producteur et l'artiste et, d'autre part, le producteur et la maison de disques. Le taux de royalty est donc un pourcentage sur le prix de vente du disque.
Le prix de base
Le prix sur lequel est appliqué le taux de royalty, parfois aussi appelé " assiette de la redevance " est habituellement défini comme le prix de gros de chaque exemplaire, diminué de certains abattements (voir ci-dessous). Le prix en chiffres et en lettres n'est jamais précisé au sein d'un contrat car, d'une part, les producteurs et maisons de disques préfèrent en général en rendre la définition la plus compliquée possible, et d'autre part il est amené à subir quelques variations en cours d'exécution du contrat. Quoi qu'il en soit, lorsqu'un artiste négocie avec un producteur indépendant qui ne distribue pas ses productions, il est essentiel de déterminer le prix par rapport à celui qui sera pratiqué en licence ou en distribution de manière à ce que les calculs soient effectués sur la même base à tous les niveaux de l'exploitation.
La définition du prix de base, de ses abattements et réductions, constitue une partie primordiale de la négociation de tout contrat relatif à un enregistrement.
Le prix de gros se réfère au prix publié par la maison de disque à l'intention des grossistes, également appelé " P.P.D. " ( published price to dealers ). Ces prix varient par type de support de la même catégorie (un album nouveauté vaut plus cher qu'un album greatest hits ), par territoire et par maisons de disques. Le prix de détail connaît des différences encore plus importantes en raison, notamment, des taxes nationales .
Les abattements BIEM
La plupart des contrats précisent donc que le prix de référence sera " diminué des mêmes réductions et abattements que ceux pris en considération pour le calcul du paiement du droit mécanique " ou, plus brièvement, qu'il s'agira du " prix de base BIEM ", ce qui revient au même.
Le Bureau international de l'édition mécanique (B.I.E.M.) représente les sociétés d'auteurs lors des négociations avec les producteurs en vue de définir quel est le montant des droits de reproduction mécanique que les producteurs doivent payer aux auteurs pour pouvoir reproduire leurs œuvres. Il s'agit également d'un pourcentage perçu le plus souvent sur le prix de gros de chaque support.
Un premier abattement de 9% sur le prix de gros est destiné à prendre en compte les " rabais sur factures pratiqués à l'égard des détaillants ". Les producteurs ont fait valoir également qu'il serait injuste de prendre la totalité du prix de gros pour base du calcul des droits à payer aux auteurs car une partie de celui-ci est constitué d'éléments sans relation avec le travail de création de l'auteur, comme la pochette, le livret intérieur, et le packaging éventuellement spécial. Ces éléments contribuent en effet à gonfler le prix de gros et donc, indirectement, les droits d'auteur. Un " abattement pochette " a donc été concédé aux producteurs de 10% sur le prix de gros.
Certains producteurs font preuve d'une imagination sans borne lorsqu'il s'agit de diminuer le prix de base sur lequel ils paient l'artiste.
Nombre de contrats multiplient par deux les abattements BIEM de la manière suivante. Après avoir défini que le prix servant de base au calcul des royalties est " le prix de gros hors taxes déduction faite des mêmes retenues et abattements que ceux appliqués pour le paiement des droits d'auteur, base BIEM ", ces contrats prévoient, par exemple, que " dans l'hypothèse où le conditionnement de l'un des phonogrammes comprendrait un livret, l'assiette de la redevance subira un abattement de 8,5% représentant forfaitairement le coût de cet élément " . Comme on vient de voir, cet abattement est déjà compris dans le prix de gros base BIEM mais il se trouve ici doublé.
Le taux
Le taux de base
Un artiste débutant perçoit en général un minimum contractuel de 5% du prix de gros tandis qu'une star peut percevoir jusqu'à 25 % du prix de vente.
De plus en plus de contrats tendent à instituer une augmentation du taux avec les quantités vendues, ce qui se justifie par le fait qu'après une certaine quantité de ventes, le producteur a récupéré et amorti son investissement. L'artiste percevra, par exemple, une redevance de 6% de 1 à 100 000 exemplaires vendus; 7% de 100 001 à 150 000 exemplaires, etc.
Le taux dépend largement sinon de la notoriété de l'artiste du moins des potentialités de ses enregistrements.
Les taux spéciaux
Les abattements et réductions de taux au sein d'un contrat d'artiste se réfèrent aux mêmes abattements et réductions pratiqués par le licencié à l'égard du producteur. Ces modifications du régime normal des redevances sont exposés en détail dans le chapitre consacré au contrat de licence.
Relevés et paiements
Habituellement, le producteur est tenu d'adresser à l'artiste deux fois par an un relevé des ventes effectuées dans le semestre précédent et de payer les montants dus dans les 60 jours à compter du 30 juin et du 31 décembre. Un artiste a toujours intérêt à imposer par contrat une clause d'audit l'autorisant à désigner un comptable pour vérifier toutes les pièces de la comptabilité du producteur. Il est généralement admis, dans ce type de clause, qu'en cas de divergence supérieure ou égale à 10% entre les sommes versées et les sommes réellement dues, les frais de l'expertise seront pris en charge par le producteur, outre le remboursement immédiat des sommes ainsi éludées.
DROIT APPLICABLE ET TRIBUNAUX COMPÉTENTS
Cette clause qui peut apparaître d'importance mineure constitue un point majeur de tous les contrats.
En déterminant la loi applicable au contrat, on en précise la base légale. Si certains pays, comme la France, jouissent d'une loi et d'une jurisprudence très riches dans la matière des contrats d'enregistrement, d'autres pays au contraire ne disposent que de textes lapidaires et laissent aux tribunaux (parfois très peu habitués à ce genre de litige) le soin de régler les conflits.
Quand la loi applicable a été déterminée, il faut encore désigner les tribunaux chargés de l'appliquer. Chaque partie a intérêt à ce que les tribunaux compétents soient le plus proche car une clause d'attribution de compétence à des tribunaux lointains revient à empêcher pratiquement toute tentative de règlement judiciaire du conflit. Déjà, au sein d'un même pays, une procédure devant les tribunaux, pour peu qu'elle soit un peu complexe, nécessite trois à quatre années pour aboutir. Une procédure judiciaire internationale démarre souvent plus tard et dure plus longtemps. La désignation d'un tribunal proche est donc d'ordre stratégique.